Dans les marais de l’ile de Ré, tout au bout du Fier d’Ars, les cyprès délimitent le pays des oiseaux. Un vol de héron, un battement d’ailes annonce la présence d’une aigrette garcette. Les gorges bleues comme les avocettes précisent le printemps tandis que les bernaches s’enfuient en troupeau, laissant la place à l’hiver, au vent du Nord et aux bourrasques pleines comme des outres. Dans les herbes séchées que le vent d’ouest afflige, les marais offrent alors un paysage immobile avec cette extraordinaire impression d’arriver au bout du monde. L’eau vient de nulle part et les marais s’inondent à perte de vue.
Lorsque les marais de l’ile de Ré se mettent soudain à fumer comme une soupe, les beaux jours ne sont jamais loin. Là-bas, comme un doigt qui se lève, sonne le clocher d’Ars. Le temps se convertit. Le vent n’a plus de sens, il souffle de l’Océan, il nous vient de la mer. Seuls comptent désormais la terre et le soleil.
Les sauniers aux pieds nus fendent alors la mer d’herbes sèches, de fenouils et de folle avoine. Dans le marais de l’ile de Ré, les hommes du sel ratissent à nouveau la terre gagnée sur l’océan, qu’ils appellent « prise » et qui n’a pas changé depuis mille ans. C’est là tout le savoir-faire de ces va-nu-pieds.
Ils rétablissent la circulation dans les caniveaux de glaise, qui conduira plus tard l’eau vers le marais salant. Le marais est le grand évaporateur sous la chaleur de juillet. Vent et soleil contribue au miracle du sel. L’or blanc ne sera récolté que dans les aires saunantes où la salinité atteint 260 grammes par litre. La saunaison de l’été se termine en septembre. La richesse des sauniers se concentre alors sur les tas de sel qu’ils appellent pilots. Chaque saunier fait son tas à sa façon. Le pilot peut prendre la forme molle d’un ventre d’âne, celle géométrique d’un chien assis, d’une pyramide altière ou une forme plus évasée comme celle des robes des derviches blancs, ces danseurs turcs qui tournent indéfiniment sur eux-mêmes.
Les tas sont chargés sur des remorques et dirigés vers la coopérative des sauniers de l’ile de Ré, sur le port d’Ars, où le précieux or blanc sera contrôlé et stocké.
Dans les marais de l’île de Ré, la salicorne pousse à l’état sauvage. Certains sauniers l’exploite et la cultive. Elle ressemble à un haricot vert. La salicorne a l’avantage de pousser quand il pleut, tandis que le sel apparaît, lui, quand il fait beau.
Le saunier est lié au marais, à son entretien, à la technique ancestrale d’irrigation par gravitation, là où pourtant, tout n’est que platitude et nudité. Toute leur vie est là, dans la blondeur des folles avoines. Pour eux, le sublime sera toujours le crissement du sel sous leurs pieds nus. Ils ont un siècle d’avance les sauniers, à l’heure où nous cherchons la nature. Quand nous la retrouverons, la nature, nous nous apercevrons surpris, qu’ils ne l’avaient jamais quittée.